PATHOLOGIES DES DÉPORTÉS

Dans les camps

Manifestations cliniques dues aux privations de nourriture et de sommeil :

– Anémie, diminution du métabolisme basal, rachitisme et douleurs musculaires, infections cutanées (abcès, phlegmons), infections des voies respiratoires et pulmonaires (tuberculose).

– Nombreuses épidémies de typhus.

« C’est une des plus pénibles conséquences de la faim à répétition que cette impuissance à nouer des idées, à saisir la plus modeste opération mentale » Loustanau-Lacan, in Chiens maudits, 1945

« Tous les Lager [camps] avaient en commun le terme Muselmann [Musulman] attribué au détenu épuisé d’une façon irréversible, à bouts de force, voisin de la mort » Ils peuplent ma mémoire de leur présence sans visage, et si je pouvais résumer tout le mal de notre temps en une seule image, je choisirais cette vision qui m’est familière : un homme décharné, le front courbé et les épaules voûtées, dont le visage et les yeux ne reflètent aucune trace de pensée » Primo Levi, in Si c’est un homme,1987

Traumatismes psychologiques :

– Modification constante de l’image corporelle.
« Quand nous restons trois ou quatre jours sans nous voir, nous avons du mal à nous reconnaître »

accentuée par une perte de l’identité physique (tenue de bagnard, étiqueté par un triangle, numéroté par un tatouage…)

– anxiété de tous les instants liée aux sélections et à la prise de conscience de la fonction d’extermination des camps.

« Les moyens mis en œuvre pour se maintenir en vie ont été aussi nombreux qu’il y a de caractères humains » Primo Levi, in Si c’est un homme,1987

Quatre conditions nécessaires :

– La chance
« Vivre dépendait de la manière dont tombaient les dés, de rien d’autres. C’est cela que dit le mot « chance », d’ailleurs » Jorge Semprun, in L’écriture ou la vie, 1994

– L’appartenance à un groupe
2 à 5 personnes, structuré ou non autour de convictions religieuses ou politiques,

– Le maintien d’une certaine autonomie de pensée. Dessins, poèmes et « se laver tous les jours dans l’eau trouble d’un lavabo immonde est une opération pratiquement inutile du point de vue de l’hygiène et de la santé, mais extrêmement importante comme symptôme d’un reste de vitalité et nécessaire comme instrument de survie morale » Primo Levi, in Si c’est un homme,1987

– L’opposition permanente à la loi inique du camp.
« Il suffit d’exécuter tous les ordres qu’on reçoit,de ne manger que sa ration et de respecter la discipline au travail et au camp. L’expérience montre qu’à ce rythme on résiste rarement plus de trois mois » Primo Levi, in Si c’est un homme,1987

– Traumatismes psychiques : le non respect des normes morales, des principes éthiques, des tabous religieux, « l’ambition du travail bien fait est tellement enracinée qu’elle pousse à bien faire même les travaux hostiles, dommageables aux tiens et à ton camp, au point qu’un effort conscient se révèle nécessaire pour les faire mal. Le sabotage du travail nazi n’était pas seulement dangereux, il vous forçait aussi à surmonter des résistances intérieures ataviques.» Primo Levi, in Les Naufragés et les Rescapés, 1989

– Le sentiment de culpabilité : survivre, c’est vivre aux dépens des autres

Chez les survivants 

Un an après leur libération : 5 % sont décédés, 50 % ont de graves maladies. Dr Ragot, in NN. Nuit et Brouillard, 1961

Les études menées par les médecins européens, entamées pour certains pendant leurs détentions, comme, les docteurs français Mans, Richet et Gallet à Buchenwald, Fichez, à Mauthausen, Cohen à Auschwitz, sont présentées au premier Congrès médical de la Fédération Internationale de la Résistance, en 1954. Leur convergence donnera naissance au

Syndrome des camps de concentration

ou KZ syndrome (konzentrationslager syndrome)

reconnu par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS)

Symptômes : fatigue ; déficit pondéral ; maux de tête ; résistance amoindrie à la tuberculose ; instabilité émotionnelle (sautes d’humeur ; irritabilité) ; état dépressif pouvant mener au suicide ; diminution de la mémoire immédiate (handicap à la réinsertion au travail).

Ont surtout frappé les sujets âgés de plus de trente ans et s’aggravent avec le temps.

En 1954 :

– 10 % étaient atteints d’affections graves ne permettant pas de travailler
– 25 % d’affections sérieuses, ne permettant qu’une adaptation sociale atténuée
– 65% avaient « récupéré » physiquement.

Dr Fichez

Docteur Fichez, résistant, déporté, médecin à la FNDIRP. Copyright Centre Jean Moulin (91)

« La tuberculose, hélas si fréquemment observée, pose un problème classique, quoique modifié en partie, étant donné la déficience chronique inhérente à l’état général des déportés. (…) Mais il est une autre catégorie de déficients parmi nous – c’est la majorité – qui, sans être atteinte d’une maladie nettement caractérisée, se trouve dans l’impossibilité absolue de reprendre tout travail et pour laquelle un repos prolongé est de première nécessité. Cet état se traduit par de la fatigabilité, l’impossibilité de fournir un travail utile, des troubles neurovégétatifs, l’asthénie invincible et des dérèglements digestifs. » Louis-François Fichez, Le Grand Livre des Témoins, FNDIRP/éd.l’Atelier, 2005

Une dizaine d’années plus tard, les travaux portant sur les séquelles psychiques engendrées par le fait d’avoir survécu permettent à Niederland, en 1968, de décrire le Survivor Syndrome : dépression chronique réactionnelle, accompagnée de cauchemars, insomnies, anxiété , symptômes psychosomatiques (céphalées, troubles cardiaques, intestinaux), nervosité, irritabilité ; hypersensibilité au danger, tendance sans cesse à prévoir le pire, remémorations obsédantes (danger ressenti comme actuel).

due aux :
– Privations et souffrances extrêmes ; peurs et angoisses endurées
– Avilissement et humiliations
– Menaces constantes et réelles de mort
– Nécessité d’une maîtrise de soi et d’un refoulement de toute agressivité ; anéantissement des familles et des communautés
– Culpabilité d’avoir survécu  et sentiment d’être « condamné » à survivre

« La nature de la nouvelle intégration obtenue par le survivant variera d’un individu à un autre mais on a à se battre avec le sentiment de culpabilité absolument irrationnel qu’on éprouve du fait même de la survivance » B. Bettelheim, in Survivre, 1977

« Les traumatismes physiques sont plus importants chez les non juifs. Les traumatismes psychiques sont beaucoup plus intenses chez les déportés juifs » L. Eitinger, in Journal Psychosomat, 1969

« Les vérités qui dérangent rencontrent un chemin difficile »

La réinsertion sociale de la population déportée a été une insertion individuelle, au coup par coup, accompagnée d’un silence certain sur le passé concentrationnaire.

La société avait élaboré des mécanismes de défense qui tendaient à refouler le deuil et la culpabilité collective, principalement vis à vis du génocide juif.

« sentiments d’abandon, d’amertume, d’incompréhension, voire d’hostilité quasi-générale » Simone Weil in Voix et Visages, ADIR, 1988

L’Oeuvre de Secours aux Enfants (OSE, créée en 1912) prend en charge l’accueil et la réadaptation sociale et scolaire des orphelins juifs rapatriés en France.

Pour offrir une réinsertion professionnelle aux survivants, la Fédération nationale des Déportés et Internés, Résistants et Patriotes (FNDIRP) crée en 1948 le centre Jean Moulin à Fleury-Mérogis.

« Ils venaient… comme on appelle au secours. Ils venaient quand ils voulaient. On les recevait. Pour eux, j’étais disponible, un point c’est tout. Et ils avaient totalement confiance. Souvent, ils avaient vu d’autres médecins qui ne connaissaient rien à leurs problèmes (…), qui ne pouvaient pas comprendre la pathologie, et notamment la psychiatrie – la psychosomatique – d’un ancien déporté qui sent qu’il est « foutu », qui a un tas de troubles de caractère, par exemple, des idées qui vous échappent, la crainte de la foule. On les écoutait. On leur parlait, beaucoup, beaucoup. On les soignait passionnément. » Louis-François Fichez, Le Grand Livre des Témoins, FNDIRP 1994

Historique du Système de compensation sociale en France

1 – Pour récompenser les Grognards de la garde napoléonienne, création d’un système de compensation sociale : on pensionne la pathologie externe, visible, par ex. les amputations

2 – Au lendemain de la première Guerre mondiale, et de l’utilisation des gaz, ce système prend en compte la pathologie interne : on pensionne la pathologie pulmonaire.

3 – En 1953, pour la première fois dans le droit français, il prend en compte la psychopathologie : on pensionne les maladies neuropsychiatriques.

Dr RAVEAU, in IFOREP, 1991

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