La réquisition du Lutetia comme Centre d’Accueil et de contrôle des déportés.
« Pourquoi le Lutetia est-il si important dans notre vécu ? C’est que, en vérité, notre deuxième vie a commencé là, dans ce lieu. Quand nous y sommes rentrés, nous n’étions que des matricules ; nous en sortions redevenus des citoyens. » Gisèle Guillemot, 2005.
La réquisition de l’Hôtel Lutetia s’est faite dans l’urgence du rapatriement des déportés dont l’accueil posait un problème spécifique par rapport à celui des prisonniers de guerre ou des requis du STO.
Quelques chiffres :
– 1 million de prisonniers de guerre
– 600.000 jeunes du STO
– 90.000 déportés par mesure de répression
– 76.000 hommes, femmes et enfants déportés comme Juifs[1].
Combien d’entre eux rentreront ?
Dirigé par Henri Frenay, le Ministère des prisonniers de guerre, déportés et réfugiés, est chargé d’organiser le retour de l’ex-Reich de plus de deux millions de Français. Il possède peu d’informations sur le nombre des déportés, leur localisation exacte, leur état de santé, leurs besoins spécifiques.
En liaison avec les officiers français affectés au SHAEF (Supreme Headquarters Allied Expeditionary Force), la section G5 de la Mission Française de Rapatriement en Allemagne (MFRA) met en place les procédures et règlements concernant les déportés politiques qui doivent être placés sur le même plan que les militaires prisonniers de guerre. Les rapatriements en provenance de la zone d’occupation soviétique seront plus difficiles.
En mai 1945, les accords de Leipzig permettent la mise en œuvre de leur retour en France qui sera malgré tout beaucoup plus long que depuis les zones américaine et anglaise car les soviétiques imposeront pour certains camps et déportés un retour par l’Est, via Odessa –Marseille, notamment.
C’est donc dans l’improvisation la plus grande que le 19 avril 1945 André Weil, Maxime Bloch-Mascart et Marie-Hélène Lefaucheux, anciens résistants membres du COSOR (Comité des œuvres sociales des organisations de la Résistance), sont reçus par le général de Gaulle qui décide de réquisitionner le somptueux hôtel Lutetia dont les 7 étages et les 350 chambres peuvent accueillir, dès le 26 avril, des arrivées de déportés qui surviennent à toute heure du jour et de la nuit.
Au début, des notes de services de la Sous-direction des Affaires sociales prévoient de réserver « l’hébergement à Lutetia aux déportés politiques de marque (chefs de résistance) et autres déportés politiques trop faibles. Les autres déportés politiques seront dirigés sur les autres hôtels dont dispose le Centre de Transit de Paris ».
Le Centre Lutetia est conçu finalement pour être: « exclusivement réservé aux Déportés Politiques, hommes et femmes, et remplit pour eux le rôle de :
– a) Centre de sélection (comme Gaumont et Rex)
– b) Centre de formalités
– c) Infirmerie, extensible selon les besoins, pour les déportés politiques dont l’état de santé s’oppose à un départ dans les 24 heures.
– d) Centre d’hébergement de transit pour certains déportés politiques indiqués ci-dessous. » Note de service n° 27, 28 avril 1945.
L’arrivée des premiers déportés modifie complètement les plans.
On fait appel aux volontaires tandis que des équipes de médecins, assistantes sociales, cuisinières, scouts et militaires sont mobilisée en permanence 24h/24 et cela, pendant cinq mois.
« Parfois, il arrivait au Lutetia trois ou quatre autobus en même temps. Il fallait faire le maximum pour éviter l’attente, raconte André Weil. Je rentrais chez moi à 4 heures du matin et, avec une brosse, je faisais tomber les poux dans ma salle de bain. Les premiers déportés rentrés au début étaient très contagieux et au début, nous avons eu deux morts parmi le personnel, une femme de chambre et un scout qui tenait le vestiaire. Nous n’étions pas vaccinés. Personne ne nous avait prévenus. »
Il y a perpétuellement des arrivées. Chaque jour apporte son lot d’imprévus.
[1] Source Arnaud Boulligny, SHD Caen.