Les pouvoirs publics n’ont pas, début 1945, pleinement conscience des sévices subis dans les camps. Les structures sociales ou médicales ne sont pas adaptées à la difficile réinsertion des rescapés. Les Résistants-déportés créent donc leurs propres structures pour les accueillir.
La Fédération Nationale des Déportés et Internés, Résistants et Patriotes (FNDIRP)
En novembre 1944, André Weil co-fonde la Fédération nationale des Centres d’Entraide aux Internés et Déportés Politiques (FNCEAIDP) qui deviendra en 1945 la FNDIRP. Il en sera le trésorier pendant trente ans, Frédéric-Henri Manhès et Marcel Paul, les présidents.
Début 1945, elle ouvre des centres d’accueil dans toute la France, dont le 16 rue d’Artois et le centre de santé du 10 rue Leroux à Paris.
Dès 1946, Le Patriote Résistant, dirigé par F-H. Manhès, devient le journal d’informations des déportés politiques. Il leur permet de rechercher leurs compagnons, d’être formés sur le système nazi et surtout de connaître et défendre leurs droits.
« Ils venaient rue Leroux comme on appelle au secours. Ils venaient quand ils voulaient. On les recevait. Pour eux, j’étais disponible, un point c’est tout. Et ils avaient totalement confiance. Souvent, ils avaient vu d’autres médecins qui ne connaissaient rien à leurs problèmes (…), qui ne pouvaient pas comprendre la pathologie, et notamment la psychiatrie – la psychosomatique – d’un ancien déporté qui sent qu’il est « foutu », qui a un tas de troubles de caractère, par exemple, des idées qui vous échappent, la crainte de la foule. On les écoutait. On leur parlait, beaucoup, beaucoup. On les soignait passionnément. » Dr Louis-François Fichez (Le grand livre des témoins, FNDIRP, 1994)
Frédéric-Henri Manhès,
né en 1889 à Étampes, décoré de la Croix de guerre 1914-1918. En 1936, membre du cabinet de Pierre Cot au ministère de l’Air, il se lie d’amitié avec Jean Moulin. Ayant rejoint la Résistance, il s’engage en avril 1941 dans les Forces Françaises Libres, sous le nom de Frédéric Monceau, avec le grade de lieutenant-colonel. En 1942 et 1943, il devient le délégué de Jean Moulin en zone nord. Arrêté par la Gestapo le 3 mars 1943 à Paris, il est déporté le 22 janvier 1944 à Buchenwald, matricule 42040. Il participe avec Marcel Paul à la Résistance clandestine et préside le Comité des intérêts français (CIF) dans le camp. Par décret du 19 octobre 1945, il est promu Compagnon de la Libération.
Marcel Paul
Enfant abandonné recueilli dans une rue parisienne le 12 juillet 1900, il travaille à 13 ans comme valet de ferme. Pendant la Première Guerre mondiale, il est mobilisé dans la Marine. En 1918, il travaille dans le bâtiment. Ayant adhéré au parti communiste en 1923, il est élu aux élections municipales de 1935 dans le XIVe arrondissement de Paris. Mobilisé en 1939 dans l’Infanterie, fait prisonnier, il s’évade et rejoint la Bretagne, puis Paris.
Très actif dans le milieu de l’éclairage et des services publics, il s’investit dans l’Organisation spéciale où il apprend, à partir de juillet 1941, le maniement des explosifs avec France Bloch-Sérazin. Arrêté le 13 novembre 1941, transféré à la prison de la Santé, jugé en février 1943 par la Section spéciale, il est condamné à quatre ans de prison. Livré en février 1944 aux Allemands, il est déporté le 27 avril 1944 (par le convoi dit « des Tatoués ») à Auschwitz (matricule 186187) et transféré le 14 mai à Buchenwald. Rapatrié en priorité avec des personnalités, il repart aussitôt à Buchenwald s’occuper du retour des autres déportés.
Nommé Ministre de la production industrielle, en novembre 1945 dans le gouvernement du Général de Gaulle, il fait adopter dès le 2 décembre la nationalisation de la Banque de France et des organismes de crédit. Restant à ce poste dans les gouvernements de Félix gouin et de Georges Bidault, il fait voter, le 8 avril 1946, la nationalisation de l’énergie et organise la création d’EDF-GDF.
L’Association des Déportées et Internées de la Résistance (ADIR)
Selon Geneviève de Gaulle, la création d’une association de déportées fut déjà discutée à Ravensbrück entre Émilie Tillion (mère de Germaine) et Annie Archambault de Montfort :
« Ce sont elles qui parlèrent d’abord de leur cher projet d’Association de Déportées. Plus tard, elles rêvèrent, avec tante Yvonne, Mme de Bernard et quelques autres, d’un projet d’Alliance féminine internationale »
Dès 1945, l’ADIR crée rue Guynemer à Paris un foyer d’accueil pour les rapatriées démunies à leur retour, avec un vestiaire, une bibliothèque, une cantine. Elle organise des séjours de repos en sanatoriums. Son service social essaie de faire reconnaître les droits à indemnités, obtient des logements adaptés…
Elle parviendra, grâce à une longue ténacité, à ce que l’ONU et l’Allemagne reconnaissent les sévices subis par les déportées polonaises lors des expérimentations pseudo-scientifiques à Ravensbrück, ce qui permettra l’indemnisation des rescapées.
L’histoire de l’ADIR est illuminée par de nombreuses personnalités : Geneviève de Gaulle-Anthonioz, Germaine Tillion, Marie-José Chombart de Lauwe, Marie-Claude Vaillant-Couturier, Denise Vernay et bien d’autres… « Nous nous sommes réunies entre femmes seulement (…) : cet esprit de fraternité que nous voulons toutes prolonger et faire fructifier, naît de la connaissance directe que les unes ont des autres, des souvenirs communs et des souffrances partagées.» Jane Sivadon, première présidente de l’ADIR
L’accueil de la Suisse
A peine libérée de Ravensbrück en avril 1945, Geneviève de Gaulle retrouve son père Xavier de Gaulle à Genève où il est Consul général de France. Découvrant la richesse du pays, elle pense que les déportées pourraient y retrouver la santé et se reconstruire. Avec Germaine Suter-Morax, elle implante en Suisse un Comité d’aide de l’ADIR, chargé d’organiser la venue des anciennes déportées. Pour financer ce projet, Geneviève de Gaulle fait de nombreuses conférences en Suisse tandis que Germaine Suter-Morax organise une collecte de fonds. Le Don suisse interviendra en 1946.
Le premier foyer est ouvert en juillet 1945 à Crassier-sur-Nyon. Huit autres suivront au Mont-sur-Lausanne, aux Avants, à Château-d’Œx, Nyon, Villars-sur-Ollon, Grandchamp, Montana et Fribourg. Les rescapées y reçoivent des soins médicaux, une bonne nourriture. Accueillies par les habitants du village, elles organisent des activités collectives qui leur redonnent le goût à la vie.
450 à 500 déportées libérées de Ravensbrück ou de Bergen-Belsen, comme Simone Veil, vont y faire des séjours de trois semaines à trois mois entre l’été 1945 et le printemps 1947.
Charlotte Delbo y écrit ses premiers textes, ainsi que Germaine Tillion. Y séjournent Violette Lecoq, dont les dessins seront utilisés comme preuve à charge au procès de Hambourg, et France Audoul, qui fera des conférences en Suisse avec une projection de ses dessins réalisés en déportation.
La dernière maison fermera en mars 1947 à Montana.
« Aux Hortensias, au Mont-sur-Lausanne, la nourriture était copieuse : il y avait un goûter facultatif et le soir, un potage, un plat et un dessert arrosé de crème fraîche. Après six mois de ce régime, j’avais repris 23 kilos. Nous étions reçues dans les familles paysannes des environs, mais nous avions de la peine à leur faire saisir le monde d’horreur et de folie auquel nous avions échappé. » Germaine Bernit-Kelleret (cf. Retour à la vie : l’accueil en Suisse romande d’anciennes déportées françaises de la Résistance, Eric Monnier et Brigitte Brigitte Exchaquet-Monnier, éd. Alphil, Neuchâtel, 2013. Par ailleurs, l’ouvrage bénéficie d’une préface de l’historien suisse Marc Perrenoud, d’un avant-propos d’Anise Postel-Vinay et d’une postface de Noëlla Rouget, elle aussi ancienne déportée à Ravensbrück.