« Si j’ai survécu je le dois, d’abord et à coup sûr, au hasard, ensuite à la colère, à la volonté de dévoiler ces crimes et, enfin, à une coalition de l’amitié – car j’avais perdu le désir viscéral de vivre ». Germaine Tillion
Née en 1907, à Allègre en Haute-Loire, Germaine Tillion est élevée par sa mère, Émilie, assurant l’éducation de ses deux filles comme rédactrice des Guides Bleus après la mort de son mari en 1925.
Ethnologue, elle part en 1934 en mission en Algérie pour étudier les Berbères des Aurès. Cette expérience lui servira plus tard pour étudier le système concentrationnaire nazi.
Avec sa mère et sa grand-mère, Marie-Antoinette Cussac, elle s’engage en 1940 dans le groupe Hauet-Vildé, relié au Réseau du musée de l’Homme.
La famille Tillion héberge dans la région parisienne, à Saint-Maur-des-Fossés, des familles juives et des résistants, participe aux multiples activités du groupe de résistance.
Les trois femmes seront dénoncées par l’Abbé Robert Alesch, luxembourgeois au service de l’Abwehr qui arrête Germaine en gare de Lyon, le 13 août 1942, puis sa mère et sa grand-mère. Âgée de 90 ans, cette dernière sera finalement relâchée.
Germaine et sa mère sont internées à la Santé puis à Fresnes pendant plusieurs mois.
Elle y organise une correspondance clandestine grâce à l’aide de Marcelle Monmarché, membre du réseau et collègue d’Émilie Tillion aux Guides Bleus, qui réussit à transmettre aux familles les nouvelles des internés.
Le 21 octobre 1943, Germaine Tillion est déportée à Ravensbrück avec 42 autres camarades au titre de NN, « Nacht und Nebel », destinées à être perdues dans la « nuit et le brouillard ».
Elle y est « disponible » pour les corvées du camp, statut qui lui inspirera une opérette, « Le Verfügbar aux enfers » satire du camp, publiée seulement en 2005 probablement parce que cette “feuille humoristique” avait plus une fonction distanciatrice que documentaire.
Le 31 janvier 1944, sa mère Émilie est déportée à son tour par le convoi dit « des 27.000 », d’après leur numéro de matricule. Émilie « rayonnait de tendresse et de joie, écrira Geneviève de Gaulle déportée dans ce même convoi, donnant à toutes de cette merveilleuse paix, de sa lumière et chaleur du cœur. Son amie de longue date, Annie de Montfort, se réfugiait toujours près d’elle quand la vie était trop atroce et son cœur trop lourd… Mme Tallet, directrice du collège d’Angers, avait pour Émilie une vénération, une tendresse infinies. C’est près d’elle qu’elle chercha secours avant de mourir, et près d’elle seulement ».
Émilie Tillion sera gazée au camp le 2 mars 1945.
Le 24 avril 1945, Germaine Tillion est libérée et rapatriée par la Suède.
Grâce aux documents et photos sortis du camp, elle commence à rédiger des notes qui feront l’objet d’un livre de référence sur Ravensbrück.
En 1946-1947, elle assiste à Hambourg, dans la zone anglaise, au procès des vingt-deux dirigeants du camp. Révoltée par le nombre si peu élevé d’accusés, elle écrira : « La vie de 125.000 femmes de tous les pays d’Europe n’est pas cotée cher et les nazis auraient tort de se gêner… Fait encore plus incroyable : à la veille du procès, deux des principaux criminels se sont évadés. Rien de moins que le commandant du camp, Fritz Suhren, et le chef des travaux forcés, Pflaum […] voilà deux hommes que la police anglaise a laissé fuir ».
Avec ses travaux sur le camp de Ravensbrück et sur l’Algérie, Germaine Tillion deviendra l’une des consciences agissantes de l’Europe d’après-guerre.
Elle décède le 19 avril 2008 à Saint-Mandé.
Geneviève de Gaulle
« On n’avait qu’un seul droit, celui de résister[1] »
Geneviève de Gaulle naît le 25 octobre 1920 à Saint-Jean-de-Valériscle (30).
Son père, Xavier, est ingénieur des mines en Sarre tandis que son oncle, Charles, est militaire à Metz.
Sa mère décède en accouchant de son quatrième enfant. Geneviève a à peine 5 ans.
Étudiante en Histoire à Rennes, elle réagit après l’Appel de son oncle, le 18 juin 1940. Elle dira plus tard : « Le refus de l’inacceptable n’est pas un refus stagnant. C’est un refus qui engage après. On refuse quelque chose, mais pour faire quelque chose à la place. » (in Sister in Resistance)
Avec sa tante Madeleine de Gaulle, elle rejoint le mouvement de Résistance en zone nord « la Vérité française » de Charles Dutheil de la Rochère. Ce mouvement sera transformé par le colonel Hauet (mort en déportation) en filière d’évasion vers l’Espagne ou la Suisse. « Les premiers actes de résistance que j’ai pu accomplir sont semblables à ceux de bien des Français… ils étaient symboliques, j’ose à peine les mentionner. »
Au lendemain de la rafle du Vel d’Hiv, le 16 juillet 1942, elle loue une chambre de bonne à Paris sous une fausse identité au nom de Gallia. Après sa rencontre avec les frères Hubert et Philippe Viannay, elle fait connaître l’action de son oncle dans les bulletins n°34 et 35 de juin et juillet 1943 de « Défense de la France », fondé Philipppe.
Elle est arrêtée le 20 juillet 1943, rue Bonaparte, par Pierre Bony, responsable avec Henri Lafont de la Gestapo française.
Internée à Fresnes, elle est déportée, le 31 janvier 1944, à Ravensbrück (matricule 27 372.
Elle y rencontre Germaine Tillion : « Quand je t’ai vue pour la première fois, tu te tenais devant la fenêtre de notre baraque, à Ravensbrück, ce qui était d’ailleurs sévèrement interdit. Nous étions en effet en quarantaine, comme c’était encore la règle en février 1944. Ta merveilleuse maman faisait partie, comme moi, du convoi… Ce que tu nous as alors communiqué, avec le ton mesuré qui était toujours le tien, n’était rien de moins que la connaissance du système concentrationnaire. Exactement ce qu’il nous fallait pour ne pas être détruites par son apparente absurdité… » Sœurs de Résistance
Souffrant d’une ulcération de la cornée, gravement malade, elle ne peut soutenir les conditions du camp. Ses amies Vlasta Stachova Bauleitung (tchèque) et Milena Seborova (polonaise) réussissent à lui faire rejoindre l’atelier de remise en état des uniformes SS. Elle y est préservée du froid glacial régnant à Ravensbrück.
Le 4 octobre 1944, le commandant du camp, Fritz Suhren, décide de l’enfermer au bunker (cellule de prison exigüe). Elle sera isolée de tout pendant cinq mois.
Fin février 1945, considérée comme otage, elle est conduite de prison en prison (Munich, Stuttgart, Liebenau). Elle sera libérée de Liebenau le 22 avril 1945 par la Croix Rouge qui l’emmènera en Suisse.
Elle y fait aussitôt des conférences pour informer la population sur son expérience concentrationnaire et récolter de l’argent pour faire venir en Suisse les survivantes du camp : 500 déportées vont en bénéficier.
A Genève, elle se marie en 1946 avec Bernard Anthonioz, Secrétaire général des Cahiers du Rhône. Les premiers témoignages sur Ravensbrück y sont publiés.
En 1947, elle assistera au procès de Hambourg jugeant les responsables allemands de Ravensbrück.
Geneviève de Gaulle-Anthonioz présidera l’ADIR de 1958 à 2002 et ATD Quart monde de 1964 à 1998.
« Il n’y a pas de salut sans mes frères, la prostituée à côté de moi et l’autre qui a volé mon pain hier, et les vieilles femmes au teint terreux, elles sont moi, elles sont miennes. J’y tiens, je ne m’en séparerai pas[2]. »
Marie-Josèphe Bonnet
[1] Interview de Caroline Glorion in Geneviève de Gaulle Anthonioz, Plon, 1997.
[2] G. de Gaulle, « Prier », Ravensbrück, Ed. de la Braconnière, Neufchâtel, 1946.