L’Hôtel Lutetia est construit en 1910 au cœur de Saint-Germain-des-Prés, pour accueillir les touristes et surtout les clients du Bon Marché. Profitant du dynamisme artistique et littéraire de l’entre-deux-guerres, il attire de nombreux écrivains parmi lesquels André Gide, James Joyce, Samuel Beckett, Antoine de Saint-Exupéry, Jean Cocteau, André Malraux, Henrich et Klauss Mann. Albert Cohen y écrit son chef-d’œuvre, Belle du Seigneur. Le Lutetia a reçu bien d’autres personnalités comme Alexandra David-Néel, Rainer Maria Rilke ou Françoise Sagan. En 2005, Pierre Assouline lui a consacré un roman intitulé Lutétia (Gallimard), récompensé par le prix de La Maison de la Presse. (Source : http://lecture.cafeduweb.com)
Carte postale, années 1940-1950. Collection Mémoire Vive.
Siège de l’Abwehr (service de renseignements de l’état-major allemand) sous l’occupation. Centre d’accueil des déportés au printemps-été 1945. (Source : http://old.memoirevive.org)
Sur la façade du palace parisien, qui avait été réquisitionné par les Allemands durant la guerre, est apposée cette plaque commémorative :
« D’avril à août 1945, dans cet hôtel transformé en centre d’accueil, fut reçue une partie des rescapés des camps de concentration nazis, heureux de retrouver la liberté et les êtres chers auxquels ils avaient été arrachés.Leur joie ne pouvait effacer l’angoisse et la peine des familles des milliers de disparus qui attendirent vainement les leurs en ces lieux. »
40e anniversaire de la libération des camps – 21 mai 1985
L’ACCUEIL DES DÉPORTÉS
par Guillaume Pélissier-Combescure, Le Monde.fr, 18.07.05
Mis à jour le 29.07.05 |
Alors que la gare d’Orsay est affectée à l’accueil des prisonniers de guerre, le ministre Frenay prend rapidement conscience que celle-ci n’est pas adaptée à l’accueil des anciens déportés. Leur faiblesse physique extrême impose une prise en charge médicale, ainsi qu’un hébergement au moins provisoire. La décision est donc prise de réquisitionner le palace du boulevard Raspail pour y recevoir tous ceux des déportés qui sont rapatriés à Paris. Malgré le contexte difficile du rationnement, le centre d’accueil bénéficie d’un approvisionnement régulier et abondant en vivres. Après quelques jours passés au Lutetia, les rapatriés se voient consentir un pécule qui doit leur permettre de subvenir à leurs premiers besoins, après avoir quitté l’hôtel.
L’accueil ne se fait toutefois pas sans difficultés, comme le raconte Pierre Assouline dans son roman très documenté, intitulé Lutetia (Gallimard, 2005). Malgré son dévouement, le personnel du palace, peu préparé, ne prend que partiellement la mesure de la détresse des arrivants. Les épidémies sévissant dans les camps rendent nécessaire une visite médicale. Après leur calvaire, nombre de déportés acceptent mal de devoir subir ces formalités, alors qu’ils sont impatients de s’enquérir des proches dont la déportation les a séparés. D’autres, au contraire, qui ont perdu tous les leurs dans les camps, sont sans perspective plus lointaine que le centre d’accueil.
DERNIERS INTERROGATOIRES
Les autorités doivent aussi veiller à ce qu’aucun collaborateur ni criminel de guerre ne se fasse passer pour déporté. Là encore, bien des survivants tolèrent fort mal les interrogatoires imposés par la police et l’armée. Le travail des enquêteurs est d’ailleurs des plus délicats : alors que des mystificateurs parviennent souvent à enrichir leur récit d’une multitude de détails, celui des anciens déportés est généralement confus. Dans l’enfer des camps, les repères spatiaux et temporels avaient perdu à peu près toute signification, et la mémoire des survivants est souvent embrouillée.
C’est devant le Lutetia, ou dans le hall même du palace que les familles de déportés viennent guetter le retour de leurs proches. Georges Wellers (revue Yod, n° 21, 1985) raconte : « Devant l’entrée de l’hôtel et dans le hall stationnait une foule compacte de parents qui tendaient des photographies et criaient le nom des déportés, en demandant si on ne les connaissait pas. » Pour ceux qui sont de retour, « cette foule anxieuse, nerveuse, à mille lieues de la dramatique réalité, était dure à affronter, car elle devenait, sans le vouloir, un reproche vivant aux survivants ».