L’encadrement

Le premier étage est réservé à l’administration, le second à l’infirmerie. Courant mai le troisième étage est réservé aux femmes. En mai, l’encadrement comprend près de 600 personnes, réduit de moitié au mois de juin. Il inclut le personnel de l’hôtel resté sur place (cuisiniers, lingères, femmes de chambre, responsables d’étage).

Les principaux responsables :

– L’officier Gerstle est le commandant du centre. Il est remplacé par le commandant Galbois en mai.

– Le docteur Toussaint Gallet est nommé médecin chef.

Le service d’accueil est dirigé par Marcelle Bidault, dite Agnès ou Elisabeth dans la Résistance, infirmière, Secrétaire générale du Comité des Œuvres Sociales des Organisations de la Résistance (C.O.S.O.R.) Elle est la sœur du Ministre des Affaires étrangères lequel avait été président du Conseil national de la Résistance (CNR) à la mort de Jean Moulin. Sous l’Occupation, elle a mis en place le service social d’aide aux familles de prisonniers dans la zone sud. Arrivée à Paris en octobre 1943, elle organise un service central, placé en janvier 1944 sous la direction du Père Chaillet, fondateur de Témoignage Chrétien. L’unification complexe des services sociaux se fait sous l’égide du C.O.S.O.R. Mais, arrêtée en juillet 1944 par la Milice, elle est internée à la prison de La Petite Roquette où le sous-directeur refuse de livrer les politiques à la Gestapo. Elle est libérée le 17 août à la faveur de la fuite des services allemands vers l’Est.

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Annette Monod, assistante sociale au Lutetia. Elle y a été appelée par Marcelle Bidault qui l’a connue à la Prison de femmes de la Roquette à Paris. © Frédéric Anquetil- Badge d’Annette Monod au Lutetia

L’enregistrement des arrivées est sous la responsabilité de Denise Mantoux qui sera responsable plus tard du service social boulevard de Sébastopol et rue d’Arcole. Décoratrice, elle entre dans la Résistance en 1942, sous le pseudonyme de Dorine. Elle organise le service social d’aide aux familles de résistants arrêtés, fusillés, déportés, fondé par Bertie Albretch, auquel travaillent une cinquantaine d’assistantes sociales des départements de la zone sud sous la direction de Marcelle Bidault. Dès l’Insurrection, des listes de déportés et de prisonniers ainsi que des cartes des camps sont constituées avec des complicités dans les services de Vichy et les services allemands, afin de rendre le rapatriement en France plus rapide.

– L’hôtellerie est sous la direction de Sabine, dite Yanka Zlatin, surnommée la « dame d’Izieu » D’origine juive polonaise, infirmière, elle a rejoint l’OSE (Oeuvre de Secours aux Enfants). En 1943, avec son mari, Miron Zlatin, elle accueille, pour les cacher, des enfants juifs dans une maison à Izieu, dans l’Ain. Le 6 avril 1944, 44 enfants et 7 adultes sont arrêtés et déportés. Aucun ne reviendra. Sabine Zlatin était absente le jour de la rafle.

« Rien n’est trop beau, rien n’est trop bon, rien n’est trop propre, trop bien cuisiné, rien n’est trop luxueux, rien n’est trop cher, rien n’est trop parfait pour ceux qu’on a arrachés à leur famille parce qu’ils avaient travaillé à la victoire et qu’ils ont été privés de tout pendant des mois, et parfois des années. Pour la première fois de ma vie, j’ai vu dans une administration publique quelque chose qui ressemblait à de l’amour ». Jacqueline Mesnil-Amar, Bulletin du SCDI

La procédure d’accueil est lourde pour ces hommes et ces femmes épuisés, dont certains peuvent à peine marcher, arrivant sur des civières ou soutenus par des scouts qui les accompagnent de la gare à l’hôtel. Après avoir été abondamment aspergés de DTT, ils sont nourris et doivent passer devant un militaire qui relève leur identité, vérifie si de faux déportés ne se sont pas glissés parmi eux, ou si des cicatrices de chirurgie « esthétique » ne cacheraient pas des matricules SS escamotés.

Service de sécurité et de contrôle dirigé par le lieutenant Louis Micard, engagé dans la France libre en juillet 1940, qui comprend divers groupes d’officiers de renseignements (D.G.E.R., Renseignements, 2eme Bureau…) Il s’agit de repérer les faux déportés et d’arrêter les criminels de guerre.

« Nous avions tous les soirs à 6 heures une voiture cellulaire qui venait prendre possession des gars que l’on avait enfermés dans une chambre », raconte André Weil.

Le Corps Auxiliaire Volontaire Féminin (CAVF). Madeleine Thibault arrive à l’Hôtel Lutetia le 26 avril 1945 où elle est affectée à l’accueil en permanence de nuit, puis au service d’étage, dont elle est responsable avec l’aide de deux bénévoles. Le service des « petites bleues » est de 7h/14h ou 14h/22h, ou 22h/7h.

« Nous tenions deux registres, un par numéro de chambre, l’autre par liste alphabétique mais beaucoup de déportés ne se faisaient pas inscrire à leur arrivée et ne signalaient pas leur départ. En principe, les déportés avaient droit à 48 heures de séjour, mais bien souvent, ils restaient plus longtemps. » Madeleine Thibault

Les bénévoles

De nombreux volontaires envoyés par les différentes organisations de Résistance, la Croix Rouge, les Quakers, l’Armée du Salut, etc. s’occupent également de servir à table, de téléphoner dans les familles, les mairies, les lieux. Les scouts catholiques, éclaireurs unionistes (protestants) et israélites accompagnent les déportés des gares ou aéroports jusqu’à l’hôtel et les raccompagnent chez eux ou vers leur destination.

Le ravitaillement en nourriture et habits.

« Nous devions être en mesure de procurer chaque jour à chaque déporté 125 g. de viande, 15 de beurre, 200 de pain, 10 de sel, 5 de tilleul, 200 de carottes, 30 de café, autant de sucre, 60 de confiture, 150 de pâtes, 70 de fromage, 100 de lait, 100 de pain d’épices sans oublier 1 kg de pommes de terre, un œuf, une savonnette. »
Les responsables font le tour, en car de police, des dépôts-séquestres de marchandises du marché noir afin de réquisitionner tout ce qui est nécessaire aux déportés : nourriture, vêtements, chaussures.
Un soir l’ambassadeur du Canada et sa femme, M. et Mme Vannier, viennent voir ce qu’il faut faire. « Il nous fait du lait, du riz, des confitures ». Quelques jours après les marchandises arrivent du Canada par la valise diplomatique.

Le Docteur Toussaint Gallet, médecin chef du Lutetia
Né en 1905 à Paris, gynécologue et médecin accoucheur. Il soutient sa thèse de doctorat de médecine en 1934 sur « L’Assistance publique, ce qu’elle est, ce qu’elle devrait être ». Mobilisé en 1939 comme médecin-lieutenant, le docteur Gallet rejoint la Résistance en hiver 1942 dans le réseau Béarn, sous le pseudonyme de Dominique. Il renseigne le BCRA à Londres sur les activités allemandes dans la région havraise.
Arrêté par le Sicherheitsdienst (service de sécurité de la SS) le 23 mai 1944, il est torturé par la Gestapo, rue des Saussaies à Paris. Il ne parlera pas. Aucun compagnon de son réseau ne sera arrêté. Interné au secret à Fresnes, il est déporté à Buchenwald, le 15 août 1944, sous le matricule 77 947.

TOUSSAINT GALLET

Le Docteur Toussaint Gallet, médecin chef du Lutetia

« Médecin, il l’est resté dans la jungle du camp, médecin aux mains nues qui ne pouvait traiter les corps, mais médecin des désemparés, des faibles, de ceux que l’abandon gagnait. […] Avec délicatesse, avec la finesse d’esprit dont il ne s’est jamais départi, avec parfois une pointe d’ironie, il savait réconforter, encourager, rassurer. Combien, parmi nous, ont retrouvé, grâce à lui, l’espoir ou simplement le calme indispensable pour continuer à “tenir“ ! » Discours du Médecin-Général Henri Parlanges lors des obsèques de Toussaint Gallet.

« Au Dr Toussaint Gallet dont la science et le courage aidèrent si efficacement le Comité des intérêts français à sauver d’innombrables vies françaises, avec l’expression de mon amitié indéfectible ». Témoignage du Colonel Frédéric-Henri Manhès, délégué de Jean Moulin pour la zone occupée.

« Toussaint Gallet ne faisait partie d’aucune organisation, il prétendait vouloir ne se mêler de rien, mais il était capable de voler le pain des chiens pour le donner aux déportés, et de voler pour eux des médicaments en risquant sa vie. » Témoignage Pierre Provost, résistant et graveur, KLB 39 705. Entretien avec Olga Wormser, 24-09-52.

« J’ai quitté mon métier de forçat et suis utilisé enfin comme médecin. Faites ce que vous pouvez pour me faire rapatrier vite. Je serai si content de vous embrasser et de continuer à faire mon devoir. […] Vive Notre France. Vive de Gaulle. » Lettre du 15 avril 1945 transmise par la Croix-Rouge à ses parents au lendemain de la libération de Buchenwald

Rapatrié par avion le 18 avril 1945 avec 43 personnalités de la Résistance, il retrouve ses parents et dès le lendemain se met au service du Gouvernement provisoire de la République. Sa nomination au poste de Médecin-chef du Lutetia, le 20 avril, recouvre une double mission. Médicale, avec la mise en place de protocoles de soins et le développement d’un programme alimentaire de réadaptation à la vie initié par lui à Buchenwald. Et politique. Le Gouvernement provisoire s’appuie sur des personnalités incontestables pour appliquer ses directives, et se faire garant de la continuité républicaine et de la vigilance face aux tentatives d’infiltration de fuyards nazis.

Après le Lutetia, il se consacrera à la médecine du sport, dont il est un des pionniers. Il réussit à la faire reconnaître comme une “compétence“ par l’Ordre national des médecins. Il soutiendra également la cause de la lutte contre le dopage.

Médecin du travail de la BRED, de la Faculté des Sciences de Paris et des Laboratoires Roger Bellon, il dirige la Société de Diffusion Médicale et Scientifique (SDMS) qui éditera les revues médicales qu’il crée : “Santé Publique“, la “Revue de Gérontologie d’expression française“ et la “Revue de médecine physique et des sports“. La SDMS publiera également plusieurs ouvrages, notamment “Pathologie de la misère“ (Charles Richet, 1957)

Toussaint Gallet sera président suppléant de la Commission de réforme des déportés, au Ministère des Anciens Combattants, présidée par son camarade déporté le docteur Antonin Mans, ami de jeunesse de Jean Moulin. À la disparition du Docteur Mans, il présidera la Commission de réforme jusqu’à son décès le 6 janvier 1970.

« Toussaint Gallet était en effet du petit nombre de ceux qui ont donné d’emblée et sans compter le meilleur d’eux-mêmes pour des causes des plus nobles : celle de l’Homme et celle de la France. Et ce choix, il l’avait fait fort jeune, en puisant à deux sources : l’humanisme agissant et le patriotisme exigeant. » Discours d’Odette Christienne adjointe au Maire de Paris, lors du dévoilement de la plaque en sa mémoire, le 19 juin 2006.

Les infirmières

La plupart sont des volontaires. A chaque étage il y a un médecin et des infirmières afin de pouvoir intervenir en urgence, y compris la nuit.

« J’avais demandé aux hôpitaux des infirmières volontaires. J’ai eu trois fois trop d’offres… Le général de Gaulle avait mis cinq voitures avec chauffeurs à leur disposition. Elles prenaient les infirmières à la sortie de leur travail et les transportaient à l’hôtel. » André Weil

Pierre Provost

Né en 1895, graveur, résistant, arrêté le 27 juillet 1943, déporté à Buchenwald le 17 janvier 1944 ( matricule 39705), libéré le 11 avril 1945. Il revient par la gare de Lyon, et arrive au Lutetia le 29 avril en compagnie des malades dont il avait la charge  (après avoir réorganisé un étage de l’hôpital), Il rapporte avec lui une vingtaine de ses médailles gravées au camp, des dessins, 4 carnets, des photos volées aux SS et l’album du commandant du camp et un briquet exécuté clandestinement à Buchenwald.

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Briquet de Pierre Provost entièrement fabriqué et gravé au camp
pour remercier la Croix Rouge de ses colis,  (Coll. MRN /Gisèle Provost)

« … J’ai voulu immortaliser l’œuvre de la Croix Rouge, car le peu de colis que nous avons reçu d’elle (beaucoup ont été interceptés par la SS), nous a permis pour beaucoup d’entre nous de continuer à vivre ». Pierre Provost (coll. particulière G. Provost)

Carnet PP 1-Lutetia

Une page du carnet de Buchenwald de Pierre Provost (retour) « Coll. part. Gisèle Provost ».

 

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